galerie les Chantiers Boite Noire

expositions

François Daireaux

du 15.01.2022 au 02.04.2022

 

 
 

 

 

Chellappan

 

En février 2007, j’arpentais la ville de Trivandrum au Kerala en Inde quand, dans un jardin autour d’une grande bâtisse rouge d’époque coloniale, mon regard fut attiré par une sculpture de plâtre représentant un personnage de plain-pied, torse nu, vêtu simplement de son traditionnel dhoti. Je la photographiai lorsqu’un homme entra dans le cadre. Je fus saisi par sa ressemblance avec la sculpture.  Il me fit visiter le jardin, désignant 28 bustes à même le sol, plus ou moins dégradés par le temps et voués à être dissous par les moussons, me signifiant à chaque fois qu’il s’agissait bien de son visage.  J’entrai avec lui dans la bâtisse. Il s’agissait du College of Fine Arts de Trivandrum. Je le revis le lendemain, torse nu, posant devant un groupe d’étudiants. La chaleur était accablante et au fil des heures, cet homme vieillissant à la peau burinée luttait pour tenir la pose à la perfection. J’appris son nom : Chellappan. Depuis plusieurs décennies, pour des générations d’étudiants, il représentait le modèle vivant idéal, irremplaçable, mais aussi l’ami, le père symbolique. C’était son unique travail, qui lui procurait de quoi survivre. Il était devenu une icône, une star locale, mais son regard laissait entrevoir une grande solitude. De retour en France, j’étais décidé à produire une œuvre qui témoigne de sa vie, de son travail.  En décembre 2007, je décidai de retourner à Trivandrum faire les moulages des 28 bustes. Il était fier et heureux du projet de les voir exposés en Europe. Enfin, je le payai pour poser pendant 25 minutes devant ma caméra. Ce fut son premier et dernier film. En avril 2010 j’appris qu’il s’était suicidé après une ultime pose.  En février 2020, je me rendis à nouveau dans l’école.  Les bustes en plâtre avaient disparu avec le temps. Je me sentais dépositaire d’une partie de l’histoire de Chellappan que j’avais préservée par les moulages et le film. Je fis un portrait filmé de deux modèles vivants qui l'avaient bien connu, recueillant leurs récits sur sa vie et ses derniers jours. Les convergences et les divergences de ces deux récits participaient à alimenter les mystères autour de cet homme qui encore aujourd’hui continue de hanter l’école. Ayant appris des étudiants qu’il leur était impossible de peindre un modèle nu, ceci étant socialement proscrit, je leur proposai de poser nu une journée, de rendre ainsi un ultime hommage à Chellappan. Cela eut lieu dans un entrepôt en périphérie de Trivandrum. Le 6 février 2020, 19 peintures furent ainsi produites par les étudiants qui me confièrent leur difficulté à trouver la carnation du « modèle blanc ».