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Christophe Sarlin

Christophe Sarlin

Corinne Rondeau, http://www.20qmberlin.com/bilder/sarlin/zqm_ChristopheSarlin.pdf

 

« La logique précède toute expérience. Elle précède le Comment, non le Quoi. »

Ludwig Wittgenstein

 

 

Les œuvres de Christophe Sarlin sont de prime abord énigmatiques et d’une grande beauté. Entre schématisation et généalogie arbitraire, événement historique et forme géométrique, système économique et art du paysage chinois, Christophe Sarlin expose ce qu’il nomme un « système de corrélation ».

Ce système met en rapport l’histoire de l’art avec un moment particulier de l’histoire du monde. En d’autres termes, le paysage chinois n’est pas simplement un paysage traditionnel (Chine 2050), sa forme reconnaissable est modélisée par les prospectives économiques de la Chine à l’horizon 2050 ; le carré « bleu continental » (1963-2007) n’est pas simplement un module minimaliste, il se fictionnalise en diffusant le rapport de la commission Warren pour établir les circonstances de l’assassinat de JFK ; l’arbre généalogique, où apparaît le nom Christophe Sarlin non loin de celui de JFK, n’est pas simplement une logique de filiation artistique, il défait la généalogie induisant l’arbre comme réseau de filiations imaginaires.

Ambivalence

Toutes les œuvres sont ambivalentes. Cela revient à dire que ce « système de corrélation » motive deux plans de réception : l’un conceptuel, l’autre fictionnel.

Pour le premier, il s’agit de voir dans les formes ce qu’il y a de reconnaissable, de générique dans l’art et son histoire. Ce moment de reconnaissance est un moment de fixation du regard sur les œuvres qui se donnent comme un état de fait et de présence. Pour le second, une lisibilité des formes émerge laissant la fiction ré-agencer l’histoire. Ce moment-là dynamise la réception tout en évacuant la fixation préalable. Quelque chose vient parasiter le reconnaissable d’abord discrètement, puis avec insistance et entêtement. Quelque chose d’un anachronisme ou d’une impureté (My Connections).

Ces deux moments témoignent de la nature des liens entre l’œuvre d’art et son modèle. Le « système de corrélation », opération conceptuelle du travail, est rendu manifeste par l’ambivalence du reconnaissable (modèle) et de la fiction (l’œuvre).

Il y a matière à se demander si le système n’est pas une manière de déprogrammer la réalité en modélisant les formes à travers ce qu’elles ne sont pas sensées représenter. Il ne s’agit pas de donner une vision du monde, mais d’incorporer aux formes préexistantes des données virtuelles ou objectives non artistiques qui fondent les visions d’un monde supposé, sans être celui de demain. Ce futur-là n’est pas l’avenir. Plutôt un futur qui reconduit l’ambivalence elle-même. En effet, le travail de Christophe Sarlin consiste à déployer la monstration d’une opération d’identification incertaine : la création n’est pas séparée de mythes sous-jacents qui supposent de réinventer l’histoire par les formes de l’art. Mythes de la création de mondes (économique, idéologique, historique, artistique, technique,...) jusqu’au mythe du roman familial (My Connections).

Modélisation

Ce futur de Christophe Sarlin est en connexion avec l’idée moderne de l’art comme procédé qu’avait développé Victor Chklovski, fondateur du groupe formaliste russe de Saint-Pétersbourg. L’objet n’est pas l’identification de quelque chose de déjà connu, car l’art est un processus d’étrangisation.

Pour Chklovski, il s’agissait de compliquer la forme pour accroître la durée de perception. Ici, la forme est épurée, doublée par une reconnaissance qui s’évanouit dans le processus de fictionnalisation. Ici le processus permet comme chez Chklovski, de définir l’art comme le « moyen de revivre la réalisation de l’objet, ce qui a été réalisé n’importe pas en art. » Ainsi s’opère l’ambivalence entre ce qu’on reconnaît et ce qu’on voit afin de faire émerger le « système de corrélation » qui se manifeste singulièrement pour chaque œuvre. Les œuvres ne se donnent pas par leur sujet (Kennedy, paysage, généalogie), mais par ce que nous élaborons à partir de l’ambivalence du modèle et de la fiction, de la reconnaissance et de la vision. Comme le souligne Chklovski, « le procédé d’étrangisation consiste à ne pas appeler l’objet par son nom, mais à le décrire comme s’il était vu pour la première fois ». L’ambivalence implique une nouvelle forme de l’histoire déconnectée de son historicisme. Le « système de corrélation » est une opération d’art, sorte d’artialisation qui consiste à déconditionner les modèles tout en les modélisant. Les objets doivent être perçus indépendamment de ce qu’on reconnaît d’eux, parce que le « système de corrélation » s’applique comme une opération de modélisation séparée des motivations circonstancielles.

Cette opération simplifie la représentation commune de l’histoire de l’art, du monde et de ses mythes. Autrement dit, voir consiste à déprogrammer et reprogrammer du sens hors de l’ordre du savoir afin d’annihiler nos certitudes pour laisser la perception agir librement. Cette opération est productrice de formes et déconstruit les systèmes de contrôle de la technique, de l’histoire, du savoir. On peut ainsi affirmer que le « système de corrélation » met en échec la réalité objectivée afin de libérer une nouvelle fonctionnalité (et fiction) de la vision. Le « système de corrélation » est l’expression de l’opération programmation-déprogrammation : la réalité artistique reste hors de l’étude objective de l’histoire du monde, même si les moyens mis en œuvre en sont issus.

Les œuvres de Christophe Sarlin ne cherchent pas à produire des effets mais un possible du monde de l’art.