galerie les Chantiers Boite Noire

Eudes Menichetti

Eudes Menichetti: tout va bien, enfin presque

Lise Ott, Midi Libre 22.01.08

 

Peut-on être soi–même au moins une fois par mois, douze mois sur douze, pendant seulement un an ?
La question, qui est d’ordre éthique, a son versant de faux-semblant, surtout quand il s’agit de peinture. Oui, moi, mais lequel, et quel mois ? Aujourd’hui ? Mais sous quelle attitude ? Quel foncier secret se cache ainsi, sous ce festin mis à nu : douze autoportraits pas plus, pas moins, format égal – un Raisin qui fait ses 65 x 50 cm bon poids, aquarelle légère, presque éphémère, chair pas toujours au mieux de sa forme ? On se le demande.
Eudes Menichetti, qui exposait ici il y a tout juste un an, a le chic pour taper à côté. Pas être au centre, sur les marges. Alors là, forcément, on est surpris ? Lui, toujours si attentif à ses lignes, s’est livré en 2007 au petit jeu de massacre de l’écorché vif. Qu’on se souvienne : les vertébrés humains sautant à la corde, les idoles féminines à l’enfant. Mais là, il creuse plus loin. Sous la chair, le crâne. Cela ferait presque oublier qu’il y a aussi la peau, pas tout à fait vraie, celle-là, plutôt l’air de celle qu’on rehaussait sur les photos sépias. Soi-même, c’est dur ? Et puis, il faut sauver sa peau…
« J’ai trois sœurs, ma mère est morte, un père avec qui je ne peux parler, une scie circulaire… » Donc, Eudes ne fait pas de cinéma. Il pose pour l’objectif d’Hélène, sa compagne, et puis il prend une pause. Il peint.. C’est çà le début du secret. S’arrêter un jour car il y a des dates faciles, dont on peut extraire quelques mots à placer sous le portrait. Par exemple, le 1er janvier, les bonnes résolutions pour une effigie à deux faces, l’une écorchée, l’autre pas ; le texte dit : « J’essayerai de me tenir droit et d’être plus distingué avec Hélène (…), de moins m’énerver, d’être moins défaitiste. » On peine à croire le bonhomme, surtout la demi-portion à l’œil fixe, exhorbité de ses paupières, l’autre est plus accueillant. Exercice de style, souvent à deux temps, comme l’horloge.
3 février, date anniversaire : « J’ai trois sœurs, ma mère est morte, un père avec qui je ne peux pas parler, un Mac dont je ne sais pas me servir, une scie circulaire Festo qui fait des miracles, des fissures au plafond et des problèmes plein la tête. » Tope là ! Face brisée, voilà les os qui se figent sous la carnation qui se grippe. On dirait du Boris Vian, non ? La même attention pour la mort qui s’amuse avec la douceur des vivants.
Car, Eudes n’est pas « trash » vraiment. Il a des tendresses. 5 septembre : « valère (ndlr, son fils) entre en 4e et la mutation physique a commencé : 1,77m , 58 kg, pointure 44, cheveux longs, acné, poils aux jambes, poils pubiens j’imagine mais ça fait bien longtemps que je n’ai pas vu la chose. » Le père, lui, a repris la natation. De sa bouche sort un ombilic qui hésite entre le cordon du fœtus et le tube à oxygène. De l’air, vivement de l’air…Pour l’instant, on nage…
Inquiet, Eudes ? 9a dépend. Après tout, ses prédécesseurs, qui étaient moins loquaces – Rembrandt, Dürer, courbet, Picasso, Wahrol – furent des mélancoliques patentés. La face cachée de soi ? Penser donc, c’est pire que les portraits du Fayoum. Depuis l’Antiquité, l’image, la vraie icône, face sacrée ou non, a des revers. Parfois, on ne peut pas se voir, même en peinture. Alors, on signe, persiste, et assume : la vraie vie est une suite de caractères (d’imprimerie) et de signes (du destin). Ou l’inverse. A bon entendeur…