galerie les Chantiers Boite Noire

Jimmy Richer

L'imagination comme pensée organique

Stanislas Colodiet

 

Elle décompose toute la création, et avec les matériaux amassés et disposés suivant des règles dont on ne peut trouver l’origine que dans le plus profond de l’âme, elle crée un monde nouveau, elle produit la sensation du neuf.  (Charles Baudelaire à propos de l’imagination dans Curiosités esthétiques, « Salon de 1859 »).

 

Jimmy Richer est conteur autant qu’il est artiste mais ses histoires sont particulières : elles n’ont ni début ni fin. Les représentations drolatiques tout droit sorties de l’esprit de l’artiste se composent en archipel. La seule manière de les appréhender est de naviguer de détail en détail. Insaisissables dans leur ensemble, elles impliquent une déambulation du regard à l’instar de la peinture extrême orientale. Evacuant toute rationalisation de l’espace par la perspective, les images se dévoilent peu à peu, comme à travers un rouleau que l’on déroule ; peu importe s’il est impossible de regarder simultanément la partie gauche et la partie droite. L’imagination est la reine des facultés disait Baudelaire ; en accord avec ce principe, imaginons la rencontre du poète avec Jimmy Richer et l’éloge emphatique que le premier aurait pu prononcer à propos du second.

 

Jimmy Richer est le terrain fertile en lequel l’imagination a semé. Ses œuvres semblent n’être que des excroissances d’elles-mêmes proliférant sous le jour d’un climat tropical. Le spectateur aura beau chercher à distinguer la racine de la cime, il n’y arrivera pas. Son travail illustre le principe selon lequel la nature a horreur du vide : tout n’est que croissance et fécondation, toute forme semble en engendrer une autre. Ainsi le monde végétal y est omniprésent mais bien souvent aussi celui du sexe.

 

Intéressons-nous aux sources qui irriguent l’imagination de l’artiste. Son univers est un exemple de syncrétisme, il y mêle sa passion pour les individualités créatrices les plus excentriques à sa curiosité insatiable pour les histoires les plus saugrenues mises en scène dans une atmosphère carnavalesque dans sa dimension la plus subversive. On pense d’une part, aux danses macabres anonymes, aux grotesques qui illustrent les Songes drolatiques de Rabelais, au bestiaire de Jérôme Bosch, aux figures masquées de la Commedia dell’arte, aux caricatures hybrides de Grandville, aux squelettes à sombrero du graveur mexicain Posada, aux dessins surréalistes de Man Ray ou encore à l’humour glacé d’un Topor. D’autre part, son exubérance narrative est l’héritière de Miguel Cervantès et du roman picaresque, des machines de Jules Verne, des trucages de Méliès, de la paranoïa critique de Dalí ou encore des mises en scène d’Alejandro Jodorowsky. Michel Foucault disait de Don Quichotte qu’il est au confluent de la tradition nordique flamande de la fête des fous et de la tradition italienne du burlesque, on pourrait en dire autant de Jimmy Richer. Cet univers accueille des histoires empruntées aussi bien à la littérature, qu’à la science ou encore à la religion. Il réinvente les créations de Marie-Antoine Carême, pâtissier de Talleyrand qui concevait ses pièces montées comme des architectures (Série Carême, les yeux grands ouverts). La série des coffres Aventures encoffrées est un hommage à la littérature de notre enfance : l’Ile au trésor (La Bande de flint) ou encore Les Mille et Une nuits (Les Passes-murailles). Le sarcophage qu’il nomme Mon corps, c’est le lieu sans recours auquel je suis condamné, est une réflexion autour de la mort nourrie par la lecture du sociologue Philippe Ariès et la découverte de la théologie de la lumière de l’abbé Suger.

 

L’artiste a la délicatesse de nous rappeler que tout cela n’est qu’un théâtre. Dans la série Tributaire de l’idéogramme, le triangle et l’octogone de Penrose, sont représentés dans la partie supérieure des dessins. Ces objets dits « impossibles » ne peuvent être envisagés que du point de vue du dessin mais ils sont irréalisables en trois dimensions. Quant au Paravent (objet du miroir)  qui inaugure la visite, il dissimule ce qui ne peut être appréhendé qu’une fois que l’on accepte avoir pénétré dans l’espace de la fiction. L’artiste aime à citer Don Quichotte : « Je sais et je tiens pour certain que je suis enchanté ; cela suffit pour mettre ma conscience en repos : car je m’en ferais, je t’assure, un grand cas de conscience, si je doutais que je fusse enchanté, de rester en cette cage ». 

 

Stanislas Colodiet